Vers un changement du système de pensée
Sans changements conceptuels au niveau national et européen, la transition territoriale rencontrera vite ses limites.
L’incapacité à engager réellement un changement systémique – c’est-à-dire touchant à tous les aspects de notre vie – a de multiples causes. Deux sont particulièrement évidentes : on ne peut espérer résoudre un problème dans les termes mêmes qui lui ont donné naissance ; et la conception étriquée que nous avons de la responsabilité de chaque acteur est que personne ne se sent réellement responsable des catastrophes qui se préparent.
Troisième objectif de la Fabrique :
Proposer ensemble les changements de modèle économique, de gouvernance, du droit et des relations entre les sociétés, de financement, pour augmenter la faisabilité, l’ampleur et l’impact des transitions territoriales}.
Sans transformations des systèmes de pensée à tous les niveaux, depuis celui des personnes jusqu’au niveau mondial, et sans changement du mode de fonctionnement des institutions la conduite de la transition au niveau des territoires rencontrera vite des limites. Beaucoup d’alliés y ont réfléchi, sont porteurs de propositions. Il faut les réunir sur le site de la Fabrique, les mettre en débat et porter ensemble celles qui font consensus.
Quelles transformations ?
– la manière de penser et de sentir des gens eux-mêmes : la représentation du monde, les valeurs fondamentales du vivre ensemble, la redéfinition du bien être, de la richesse, la manière d’être aux autres et avec les autres, le passage de la compétition à la coopération, le rapport au vivant ; la place des émotions : la conscience des responsabilités à l’égard des autres et du monde ;
– la nature, le rôle, la gouvernance des territoires : leurs ressources matérielles, humaines et immatérielles, leur résilience, les formes de solidarité », la diversité des formes d’utilité économique et sociale, une gouvernance territoriale capable d’associer tous les acteurs à la construction du bien commun et de dépasser les politiques « en silo » ;
– les relations entre les territoires et les autres niveaux de gouvernance, entre le local et le global
– au niveau global, national, européen, mondial la manière de gérer la société, l’économie, le droit, la gouvernance, la gestion des communs mondiaux, les relations entre sociétés
Comment y contribuer ?
– en permettant à tous les acteurs d’un territoire d’en débattre ensemble, de faire le lien entre leur vie quotidienne et des changements qui leur paraissent souvent hors de portée et en mettant à leur disposition des moyens de formation et des supports de réflexion qui permettent à chacun des se saisir de ces questions globales ;
– en lançant, quand un noyau d’alliés est prêt à s’en saisir, des ateliers de travail thématiques permettant d’approfondir ensemble analyses et propositions, de doter la Fabrique d’un vocabulaire commun, peut être d’une vision commune, d’une capacité à interpeller les autres niveaux.
Une porte d’entrée sur les changements globaux
Les changements conceptuels et institutionnels ne sont pas indépendants des uns des autres. La liste ci-dessous donne une porte d’entrée, une manière de se saisir ensemble d’une question et de confronter les propositions. Elle est fondée sur les apports des alliés en 2020 et s’enrichira au fil des années
Une autre économie
L’économie sociale et solidaire
La coopération entre acteurs publics et privés à l’échelle d’un territoire suppose que chacun reconnaisse que sa raison d’être inclut le bien commun, la prospérité des communautés humaines des territoires et l’invention d’un nouveau modèle économique incluant le respect des limites de la planète et la sauvegarde de la biosphère.
Le développement de l’économie sociale et solidaire ancré dans les territoires constitue donc une évolution majeure. Les entreprises de ce secteur économique sont également les plus engagées dans la recherche de nouvelles formes de coopération, soit entre entreprises de l’économie sociale et solidaire elle-même, soit plus largement entre acteurs de diverses natures comme l’illustrent les pôles territoriaux de coopération économique, PTCE.
L’économie circulaire et de fonctionnalité
Jusqu’à la fin du 20e siècle, le développement économique, qui a eu pour principaux moteurs les innovations techniques et la mondialisation des marchés, a donné naissance à des filières globalisées de production mobilisant, autour d’entreprises dominantes auxquelles ils sont liés par des relations d’allégeance, une multitude de filiales, sous-traitants et fournisseurs. Ces filières de production demeurent pour l’essentiel « linéaires » : elles puisent dans une biosphère réputée infinie des matières premières et de l’énergie et y rejettent les déchets, depuis les sous-produits de la production jusqu’aux objets hors d’usage, de plus en plus rapidement remplacés dans une logique d’obsolescence programmée. Ce modèle n’est évidemment pas durable. Il a suscité de très nombreuses réactions, les territoires y sont en première ligne. Citons :
- l’écologie industrielle et territoriale, qui vise à faire des sous-produits d’une activité productive la matière première d’autres activités ou de services rendus à la collectivité ;
- l’économie circulaire, qui vise à passer des filières de production linéaires à des systèmes en boucle où l’on prend en compte la genèse et l’usage d’un produit pour s’assurer du recyclage ou de la réutilisation de toutes les ressources qui lui ont été nécessaires ;
- la gestion territorialisée des déchets qui vise d’abord à en réduire la masse (par l’écologie industrielle et territoriale, par l’économie circulaire, par le développement du vrac et de la consigne, etc..) ensuite à en concevoir le recyclage ;
- l’économie de la fonctionnalité, qui vise à offrir un service rendu plutôt que l’achat de biens matériels permettant de rendre ce service.
Les territoires sont un niveau privilégié pour organiser ces transformations mais, des politiques à l’échelle nationale et européenne doivent être mises en œuvre pour les généraliser.
Voir les documents :
De l’économie à l’oeconomie
Jusqu’en 1750 on ne parlait pas d’économie mais d’oeconomie, rappelant ainsi son sens profond : les règles de gestion (nomoï) de la maison commune (oïkos), autrement dit l’art d’assurer le bien être de la maisonnée, et par extension de la communauté, de la nation, de l’humanité toute entière, dans le respect des limites de l’environnement.
Cette oeconomie a été perdue de vue pendant la révolution industrielle, quand les sociétés occidentales ont pensé pouvoir mobiliser à leur service des ressources réputées illimitées de la planète. Il faut entreprendre aujourd’hui le grand « retour en avant » de l’économie à l’oeconomie car les défis de l’humanité, confrontée à la finitude et la fragilité de la biosphère, sont semblables à ceux qu’elle a connus avant la révolution industrielle.
Assurer le bien être de tous dans le respect des limites de la biosphère conduit à revisiter les fondements de notre modèle économique. Normes de gestion de la maison commune : l’oeconomie est une branche de la gouvernance à laquelle s’appliquent les principes généraux de gouvernance.
Il faut, par exemple : en lieu et place d’un marché globalisé indifférencié penser l’articulation entre les niveaux de production, d’échange et de consommation du niveau local au niveau global ; créer les conditions de légitimité des différents types d’acteurs ; mettre en place des régimes de gouvernance adaptés à la nature des différents biens et services ; imposer des normes d’interopérabilité entre composants des produits industriels pour combiner la production à l’échelle mondiale de composants avec le montage et la réparation s’effectuer au niveau local.
Voir le document Petit traité d'oeconomie
Une autre monnaie
Les monnaies locales, outils de développement des territoires
Les territoires aujourd’hui connaissent très mal leur métabolisme. Contrairement aux cellules des organismes vivants ils ne disposent d’aucune membrane permettant de filtrer et mesurer leurs échanges avec l’extérieur ou de densifier les échanges locaux de travail et de service, ou même d’orienter l’épargne locale vers les investissements nécessaires au développement et à la transition des territoires.
Le développement de monnaies locales, rendu aisé par la dématérialisation de la monnaie, y compris la généralisation des paiements directs par téléphone mobile, crée les conditions techniques du développement de monnaies locales à l’appui d’une articulation nouvelle entre les niveaux de gestion de l’économie et de l’échange du local au mondial.
Encore faut-il que le rôle de ces monnaies soit reconnu tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne, ce qui suppose un changement doctrinal profond par rapport aux idées dominantes sur l’unité de l’euro.
L’énergie fossile, une monnaie à part entière
Relance de la croissance, croissance écologique, décroissance : le débat fait rage mais de façon très confuse pour une simple et bonne raison : croissance et décroissance de quoi ? Si l’on veut atteindre le bien être de tous et la cohésion sociale dans le respect des limites de la planète il faut promouvoir ce qui renforce les relations entre les êtres humains et les sociétés, relations dans lesquelles le travail va jouer pour longtemps encore un rôle structurant, et réduire par contre massivement tous les prélèvements sur la planète, à commencer par l’énergie fossile.
Vouloir payer avec la même monnaie ce qu’il faut développer, le travail, et ce qu’il faut réduire, les prélèvements sur la planète, c’est vouloir piloter une voiture qui n’a qu’une seule pédale pour l’accélérateur et le frein : le meilleur moyen d’aller dans le mur. C’est ce qui arrive à nos sociétés.
Pour aller vers des territoires durables, il faut que l’on ait recours à deux unités de compte et moyens de paiement différents pour ce qu’il faut développer et ce qu’il faut économiser. Un territoire n’est pas en mesure de le faire seul. Il faut au niveau national et européen transformer la pensée et les institutions de la monnaie.
Voir le document L’énergie fossile (extrait du Petit traité d'oeconomie)
Une autre gouvernance
Le renouveau de la démocratie : la démocratie délibérative aux niveaux territorial, français et européen
La démocratie représentative est en crise. Elle est née au temps où le peuple, en majorité analphabète, avait besoin de porte-paroles lettrés pour le représenter et où l’information circulait lentement, principalement sous forme écrite. Dans des ensembles humains assez vastes elle était la seule modalité praticable de la démocratie. Ce contexte a changé du tout au tout, ainsi doit le faire la démocratie : il faut inventer des formes nouvelles d’association des citoyens à la délibération et à la décision. La démocratie délibérative, amenant des panels de citoyens tirés au sort à construire les termes du débat et proposer des réponses à soumettre à l’ensemble des citoyens constitue l’une des avancées les plus prometteuses.
Le niveau territorial en est logiquement l’échelon de base. Il permet de mettre en dialogue des citoyens qui vivent la même réalité sur toutes les grandes questions de nos sociétés et pas seulement sur des enjeux locaux. A partir de ce premier échelon, peut s’opérer une mise en dialogue entre les territoires tant au niveau national qu’au niveau européen. Une telle démocratie délibérative à multi-niveaux demande, pour être effective, une reconnaissance aux niveaux national et européen.
Voir le document Sauvons la démocratie ! (voir Définir les principes d'une stratégie concertée de changement (P 32-41))
Une autre définition des territoires
Dans un passé encore récent un territoire se trouvait défini comme une portion d’espace géographique gérée par des collectivités territoriales. Il était même souvent confondu avec ces collectivités territoriales, au point de réduire la gouvernance territoriale à la gestion publique locale.
En outre et du fait de l’immersion des territoires dans une économie globalisée où les échanges sont en grande partie monétaires, les territoires étaient dans l’incapacité de connaître leur métabolisme, y compris sous des formes élémentaires comme les flux d’énergie et de matière entrant et sortant. Il n’est donc pas possible de conduire la transition des territoires sans les définir, les caractériser et les gérer autrement, sans faire reconnaître par les autres niveaux de gouvernance, régional, national et européen qu’ils sont bien un des acteurs pivots de la transition.
La Fabrique se fonde sur une nouvelle définition du territoire, communauté humaine ayant aménagé au fil des siècles un lieu de vie, et un système de relations et d’acteurs, une densité particulière des relations qui unissent et dont beaucoup s’étendent du local au mondial.
Voir le document Le rôle centrale des territoires
La gouvernance à multi-niveaux et le principe de subsidiarité active
Ces deux notions sont aujourd’hui au cœur de l’élaboration des politiques européennes mais restent largement ignorées en France par l’administration d’État et par la majorité des élus politiques.
La gouvernance à multi-niveaux part d’un constat : dans les sociétés actuelles, aucun problème sérieux ne peut se traiter intégralement à un seul niveau. Dès lors, au lieu de s’épuiser à « clarifier les compétences » en attribuant à chaque niveau des compétences exclusives, il vaut mieux reconnaître l’évidence et définir au contraire les règles de coopération entre les différents niveaux de gouvernance en vue de la production du bien commun.
Le principe de subsidiarité active en est le complément. A vouloir imposer à tous les territoires des normes uniformes ne laissant place ni à la spécificité ni à la créativité de chacun, on perd sur tous les tableaux de l’autonomie et de l’efficacité. Pour autant dans des sociétés interdépendantes, il n’est pas possible de laisser chaque territoire agir à sa guise indépendamment des conséquences pour les autres.
Le principe de subsidiarité active découle des communautés apprenantes. Il vise, dans tous les domaines, à substituer à des obligations de moyens uniformes une obligation de résultat : mettre en œuvre les principes directeurs tirés de l’expérience collective, en permettant à chaque territoire de les traduire au mieux de ces spécificités.
Voir le document La gouvernance à multi-niveaux
Les fabriques locales de transition
C’est un résumé de ce qui précède : amener chaque territoire, en lui donnant les moyens de son autonomie de pensée et de financement, à concevoir lui-même l’ensemble de la démarche de transition en se fondant sur des principes directeurs dont la Fabrique des Transitions espère devenir la porteuse privilégiée.
Voir les documents :
Un autre régime de gouvernance de l’énergie fossile
Les quotas individuels négociables
Depuis bientôt trente ans et le premier sommet de la terre de 1992 qui a popularisé le concept de développement durable et appelé à une politique de limitation de la croissance des températures moyennes du globe du fait des émissions de gaz à effet de serre, principalement issus de la combustion de l’énergie fossile, les politiques mises en œuvre par les États, par l’Europe et par les territoires ont toutes été des politiques se fixant des « obligations de moyens » : action sur l’isolation thermique des bâtiments, l’efficacité énergétique des processus de production, la réduction de la mobilité automobile, etc..
Ces politiques ont échoué. Aucune n’a été à la hauteur du défi. Aucune n’a été en mesure d’infléchir réellement nos modèles de production et nos modes de vie. Les consommations d’énergie fossile sont restées corrélées à l’évolution du produit intérieur brut tant au niveau national qu’au niveau mondial. Seules les crises économiques, comme la crise financière en 2008 ou la pandémie du Covid 19 en 2020, ont été mesure de produire des effets visibles, mais très limités dans le temps, de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il faut maintenant radicalement changer d’approche, passer des obligations de moyens aux obligations de résultats et, enfin, considérer que les engagements internationaux pris par l’Europe et la France en vue d’assumer leur responsabilité dans le maintien du réchauffement climatique « très en dessous de 2° » pour reprendre l’expression des accords de Paris, sont à prendre au sérieux et nous imposent une réduction de 6 à 7 % par an de notre empreinte carbone, cette empreinte incluant non seulement notre consommation visible d’énergie fossile mais aussi l’énergie grise incorporée dans les biens et services que nous importons. Energie grise qui représente aujourd’hui plus de 40 % de notre empreinte carbone.
Si ces engagements sont pris au sérieux cela signifie que nos émissions totales de gaz carbonique, notre empreinte carbone, est plafonnée et que ce plafond diminue de 6 à 7 % par an. Dès lors le régime de gouvernance de l’énergie fossile consiste à gérer dans un esprit de justice sociale ce rationnement et sa réduction annuelle.
Trois régimes de gouvernance sont a priori possibles pour y parvenir : une gestion par les prix en fixant une taxe carbone de plus en plus élevée pour que la demande solvable se réduise au total de ce qui est admissible annuellement ; une mise aux enchères de ces quantités limitées ; des quotas égaux alloués à chaque individu, quotas qu’il lui est loisible de vendre, rendant ainsi efficaces et rentables les efforts qu’il fait pour réduire son empreinte carbone au-delà même de ces quotas.
Ce combat est décisif pour les territoires mais doit être mené de préférence à l’échelle européenne et à défaut à l’échelle nationale.
La traduction territoriale des quotas : le budget carbone des territoires et les marchés des échanges locaux de quotas carbone
Ce qui précède a une implication majeure pour les territoires. On peut définir leur empreinte carbone comme l’empreinte de l’ensemble de la communauté résidant sur le territoire. Or bien des efforts des personnes pour réduire leur empreinte carbone dépendent de la stratégie de transition des territoires eux-mêmes : politique de l’habitat, de l’aménagement du territoire, de gestion des services publics, des systèmes agroalimentaires locaux, de la restauration collective, de la mobilité, etc.. Mais c’est aussi à cette échelle territoriale, et grâce au fait qu’un régime des quotas négociables assure la traçabilité de l’empreinte carbone de chacun, que l’impact réel de toutes ces politiques peut être mesuré : les politiques territoriales créent des conditions objectives pour la réduction de cette empreinte carbone mais c’est la motivation de tous les acteurs à réduire leur propre empreinte qui donne à ces politiques toute leur valeur.
Ainsi, chaque territoire, entendu comme communauté humaine, peut se penser comme un acteur collectif engagé dans le respect d’une empreinte carbone qui diminue d’année en année.
Le territoire peut ainsi être le premier niveau d’organisation du marché d’échange des quotas carbones, permettant que s’établisse un marché d’échange entre les territoires, les plus économes étant en mesure de valoriser leurs efforts en vendant une part des quota à des territoires moins durables. Ce sera aussi un levier extraordinaire pour repenser l’ensemble des métabolismes territoriaux.
Un autre droit
Les métamorphoses de la responsabilité et le développement d’un droit européen et mondial de la responsabilité
Qu’est-ce qu’une communauté ? Un ensemble d’êtres humains qui se sentent une responsabilité mutuelle à l’égard de l’impact de leurs actes sur les autres membres de la communauté et sur les biens communs. C’est ce qui explique que l’idée de responsabilité mutuelle se retrouve dans toutes les sociétés et dans toutes les cultures (ce qui n’est pas le cas des droits humains qui est un concept à l’origine occidental).
Dans un contexte où l’humanité met en péril sa propre survie par absence de prise en considération des conséquences immédiates ou à long terme des actes de chacun de ses membres, la responsabilité est la colonne vertébrale de l’éthique du 21e siècle.
Or notre définition éthique et juridique de la responsabilité est aujourd’hui très éloignée de cette conception de la responsabilité. Nous avons créé au fil des siècles une vision et une doctrine de la « responsabilité limitée » de chaque acteur. Or la somme de ces responsabilités limitées conduit comme on peut le vérifier aisément chaque jour à des sociétés qui sont elles à irresponsabilité illimitée.
Une véritable métamorphose de la responsabilité est aujourd’hui urgente pour faire émerger, notamment, un droit mondial de la responsabilité à la hauteur des défis de préservation du bien commun.
Les territoires, pris isolément, ne sont pas à l’échelle de cette tâche colossale. Par contre ils constituent de formidables laboratoires de ce que peut être à l’échelle d’une communauté territoriale une métamorphose de la responsabilité, pour en faire un fondement du renouvellement du contrat social entre les acteurs. Car c’est bien de contrat social qu’il s’agit lorsque l’on veut bâtir une coopération entre les acteurs autour de l’objectif commun de la transition. En outre, les réseaux nationaux européens et mondiaux de territoires peuvent devenir un levier pour porter à l’échelle internationale l’exigence d’une Déclaration universelle des responsabilités humaines complément de la Déclaration universelle des droits humains et fondement d’un droit mondial nouveau.
Voir le document Métamorphoses de la responsabilité et contrat social
D’autres relations entre les sociétés
Le dialogue entre territoires
Depuis le 17e siècle et l’avènement de ce que l’on a appelé « l’État Wesphalien », les relations entre sociétés ont été confondues avec les relations entre États. Or, selon l’adage, « Les États n’ont pas d’amis ils n’ont que des intérêts ». Au sein d’un même État, les intérêts entre groupes sociaux sont contradictoires et « l’intérêt national », qu’on oppose aux autres n’a de réalité que parce qu’il existe un État national pour le construire, nous éloignant de la nécessité urgente pour l’humanité de se percevoir une communauté de destin.
Les relations entre sociétés telles que construites par la diplomatie s’apparentent aux relations qui pouvaient autrefois exister entre villages voisins, échangeant pacifiquement ou se confrontant violemment de loin en loin, pour ensuite rentrer chacun chez soi. Or, aujourd’hui les relations entre sociétés sont plus proches de celles qui existent entre colocataires d’un même appartement, appelés à se fréquenter en permanence et à partager le même espace.
Rien n’est plus significatif de ce fossé entre les nécessités et les réalités que les rituelles conférences annuelles des parties, COP, sur le climat. Le climat dans lequel nous baignons est notre réalité quotidienne … mais les conférences sont conduites par des ministres des affaires étrangères.
Les territoires sont au contraire le reflet des conditions de vie quotidienne de leur population. Certes ils peuvent être à l’occasion concurrents entre eux mais ils sont plutôt unis par les mêmes réalités et les mêmes défis. C’était d’ailleurs l’intuition qui a présidé à la création des villes jumelées. On a parlé à leur sujet de « démocratie des peuples ». Et c’est aussi la clé du succès de la coopération décentralisée, qui est une variante des communautés apprenantes : on peut s’apprendre mutuellement et ces apprentissages retrouvent toutes leurs valeurs humaines faites de compréhension, de découverte, de sympathie.
A l’heure où tous les territoires sont confrontés aux défis communs de la transition, le dialogue entre territoires, compris comme le dialogue entre des communautés enracinées chacune dans son territoire et non comme un dialogue entre dirigeants des collectivités territoriales, doit devenir un moyen essentiel de faire émerger des communautés de destin. Donnez leur une tour à construire, dit un proverbe africain et vous en ferez des frères. Cette tour c’est la conduite de la transition et la gestion des communs mondiaux, à commencer par le climat.
Cette dynamique ne prendra son plein essor qu’en étant reconnue par les institutions étatiques et internationales comme une dimension majeure du dialogue entre les sociétés. C’est l’antidote aux replis nationalistes.
Pour un processus instituant citoyen de l’Union Européenne
En 2020 la Conférence pour le futur de l’Europe doit être lancée. Les grandes institutions européennes semblent s’accorder pour reconnaître que cette fois, contrairement à la Convention Européenne lancée par le Conseil Européen de Laeken en décembre 2001, il faudrait vraiment donner la parole aux citoyens. Comment le faire ? Notamment en ayant recours à la démocratie délibérative et à des panels de citoyens tirés au sort.
Comme l’a montré en 2020 en France la Convention Européenne sur le climat, si les panels de citoyens sont organisés directement au niveau européen ou à l’échelle nationale, on passera à côté du but visé. Il faut donc concevoir une démarche à deux niveaux : d’abord avec des panels de citoyens organisés au niveau des régions européennes, à une échelle où les grandes questions de l’humanité trouvent leur expression concrète, puis à un second niveau en faisant dialoguer entre eux ces panels de citoyens.
Les réseaux internationaux de territoires en transition et la construction d’une communauté mondiale de destin
Ce qui unit les peuples de la terre ce ne sont ni un passé ni une religion ni une culture ni des valeurs en commun. Ce qui les unit c’est de vivre sur la même planète, de partager les ressources finies de la biosphère, de devoir assumer ensemble la responsabilité d’en préserver l’intégrité. Et de ce fait, ce qui les unit c’est précisément d’avoir à conduire une transition systémique dans laquelle les territoires auront un rôle majeur à jouer. Ce sera, dans les années et les décennies à venir la vocation profonde des réseaux internationaux de territoires dont la Fabrique n’est qu’une préfiguration. Elle doit en assumer l’ambition. Elle doit en faire reconnaître la nécessité au niveau des instances nationales et internationales.
Une autre comptabilité
Une autre comptabilité des entreprises
La conduite de la transition des territoires suppose l’implication de tous les acteurs, en particulier des acteurs économiques quelque soit leur statut : entreprise publique ou privée, entreprise de l’économie sociale et solidaire.
Tous ces acteurs économiques bénéficient du capital naturel et humain des territoires où ils sont implantés et contribuent à les enrichir ou à les appauvrir. C’est une des raisons profondes pour lesquelles une stratégie de transition est nécessairement une stratégie multi-acteurs. Encore faut-il que les outils de gestion des entreprises soient cohérents avec cette réalité. Ce n’est pas le cas actuellement.
La réforme de la comptabilité des entreprises est sur la table depuis plusieurs années. Elle procède d’une réflexion plus générale sur la nature de l’entreprise elle-même qui ne peut plus être seulement, comme l’exprime son statut juridique actuel, une simple association d’actionnaires uniquement soucieux de faire fructifier le capital investi. En France, en 2019, la loi PACTE a été un premier pas dans cette direction. Elle vise précisément à repenser la place des entreprises dans la société.
Il faut maintenant, pour que les entreprises deviennent à titre habituel et non à titre exceptionnel comme c’est encore le cas maintenant, des partenaires des stratégies de transition territoriale, que la comptabilité elle-même des entreprises soit réformée en faisant apparaître le bilan « capital naturel » et « capital humain » au même titre que le capital financier.
Une autre comptabilité des territoires
De même que les territoires aujourd’hui connaissent mal leur métabolisme, ils ne disposent pas de bilan consolidé de leur capital naturel, humain ou même financier. N’existent que des comptabilités publiques des collectivités constituant le territoire, sans même de consolidation de ces comptabilités à l’échelle du territoire dans son ensemble.
Si l’on admet qu’un territoire est une collectivité humaine et un acteur collectif, il faut les doter des outils d’observation de la réalité et de comptabilité correspondants.
D’autres modalités de financement
L’accès direct des territoires aux financements nationaux européens et internationaux pour la transition
Le plan de relance de 750 milliards adopté en juillet 2020 par l’Union Européenne pour permettre à la société de redémarrer après la pandémie du Covid 19 doit être, pour au moins 30 %, dédié à des investissements dans la transition écologique.
Ces financements devraient pouvoir aller directement aux territoires et aux différents acteurs au sein des territoires à condition de s’inscrire, en application du principe de subsidiarité active, dans une stratégie de transition globale, conforme aux principes directeurs dont la Fabrique peut être l’incarnation. Ces principes directeurs pour l’instant sont symbolisés par ceux qui sont issus de la démarche de capitalisation d’expériences des quatre villes, Loos-en-Gohelle, Grande Synthe, Le Mené et Malaunay, complétée par des principes directeurs élaborés par un certain nombre de réseaux alliés de la Fabrique, en particulier Energy Cities et Territoires à Energie Positive (TEPOS).
Un mécanisme de guichet unique, si possible mis en place par les régions, devrait permettre de mobiliser rapidement les subventions et prêts du plan de relance européen dès lors qu’une fabrique locale de transition s’est mise en place.
La mobilisation de l’épargne locale
C’est l’autre versant d’un système économique qui n’est plus fondé sur un vaste marché globalisé et unifié mais sur l’articulation entre différents niveaux de production et d’échange, le territoire constituant le premier niveau.
Dans le système financier actuel, la relation de confiance qui est le fondement de la relation entre un prêteur et un emprunteur a été progressivement remplacée par des transactions instantanées : ce n’est plus la confiance qui compte, c’est la possibilité de se retirer instantanément. Cette logique a été poussée à son comble avec les subprimes, des « produits structurés » selon la jolie et mystificatrice expression des banques, c’est-à-dire des paniers de dettes dont le prêteur finit par ne même pas connaître la nature. La « financiarisation du monde » n’est plus dans ces conditions l’acte normal de confiance dans l’avenir et dans ses partenaires qui est au fondement du crédit mais est devenue le symbole d’une recherche abstraite du profit pour le profit.
L’échelle territoriale peut être le fondement de la reconstruction du contrat social du système financier. Le succès croissant des financements participatifs ou de l’épargne solidaire, la multiplication des fonds d’investissements « responsables » est le signe de cette aspiration collective.
Il faut obtenir que dans le cadre de stratégies globales de transition les territoires puissent mettre en place des circuits nouveaux de mobilisation et de l’épargne.
Stratégie de développement 2021 - 2022
PROMOUVOIR LES CHANGEMENTS DE SYSTÈME DE PENSÉE
A l’été 2020 une première typologie des changements de système de pensée avait été présentée sur le site web de la Fabrique. Les discussions en atelier lors de l’Assemblée de Forges ont enrichi cette première typologie en soulignant l’importance de prendre également en compte ce qui se joue à l’échelle des personnes et à l’échelle des territoires eux-mêmes.
Trois actions doivent se développer en 2021 pour enrichir la Fabrique et renforcer sa capacité à être un levier dans les processus de changement de système de pensée.
Compléter les propositions des alliés
- Alimenter la base documentaires des propositions portées par les alliés qui souhaitent les valoriser
- Apporter un soutien logistique dans l’indexation des propositions et mise en
valeur auprès des financeurs - Mettre en débat des propositions en lien avec la consolidation de la doctrine.
Organiser des chantiers thématiques pour la mise en œuvre stratégique de ces changements
- Faire connaître et créer les conditions d’application de ces propositions de changement selon un cahier des charges commun à affiner.
Expérimenter ces propositions dans des territoires pilotes
- Aider à identifier des territoires prêts à appliquer ces propositions et en tirer les enseignements
- Appuyer la « supervision / réflexivité » des expérimentations pour en tirer les enseignements et en partager les enseignements avec les alliés.